Comment produire un art authentique tout en ayant un témoignage fidèle (1/2): définitions

Culture et arts

Dans le cadre de la conférence PRISME, j’ai eu l’occasion de répondre à la question: « Comment produire un art authentique tout en ayant un témoignage fidèle? » J’ai décidé de m’appuyer sur la réflexion de Calvin Seerveld et son concept d’allusivité. Dans ce premier article, je réponds à deux questions: 1) Qu’est-ce qu’un art authentique? et 2) Qu’est-ce qu’un témoignage fidèle pour un artiste? Dans un prochain article, je donnerai cinq pistes pratiques pour aider les artistes à produire un art à la gloire de Dieu

C’est vrai que dans la tête de beaucoup, la qualité de l’art est inversement proportionnelle à la question du témoignage. En gros, il serait impossible de produire un art authentique tout en gardant un témoignage fidèle.

Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. Surement pas l’avis que l’on a au sein de Majestart. Et ce n’était pas non plus l’avis d’un philosophe chrétien de l’art, Calvin SEERVELD. Aujourd’hui, je vais me servir de ce qu’il a dit pour explorer quelques pistes de réflexion avec vous.

En fait, notre question (Comment produire un art authentique en ayant un témoignage fidèle?) en cache deux:

  1. Qu’est-ce qu’un art authentique?
  2. Qu’est-ce qu’un témoignage fidèle pour un artiste?

Comment définir un art authentique?

La question de la définition de l’art est presque aussi vieille que le monde. Souvent, il y a deux grands axes:

  1. On essaie de définir l’art par son essence. On cherche la caractéristique essentielle de l’art. L’ingrédient qui fait qu’une production est œuvre d’art.
  2. On essaie de définir l’art par sa fonction. L’art doit accomplir quelque chose.

SEERVELD écarte assez vite la notion de beauté comme critère essentiel de l’art. Il ne rejette pas la notion, mais il n’en fait ni l’essence de l’art, ni le but de l’artiste chrétien.

L’allusivité

Pour SEERVELD, la caractéristique décisive de l’œuvre d’art, c’est ce qu’il appelle « l’allusivité ». Ne cherchez pas dans le dictionnaire, c’est un terme qu’il a inventé. L’allusivité c’est quoi? C’est signifier de manière symbolique. L’artiste apporte une réelle connaissance sur le monde, mais par analogie, de biais. Par exemple, une peinture ne correspond pas forcément à une reproduction exacte de la réalité telle qu’elle est perçue par nos sens. Mais elle présente néanmoins du sens en faisant allusion aux choses. L’art agit alors comme une métaphore visuelle.

L’œuvre devient alors une sorte de parabole. L’artiste interprète le réel et nous rend attentifs à ce qui, sans lui, passerait inaperçu. Par son caractère allusif, il essaie de rendre manifeste une réalité invisible. C’est cela, pour Seerveld, ce qui définit l’art.

Du coup, l’artiste dit quelque chose à propos du monde. Il ne cherche pas seulement à faire une reproduction de ce que nous percevons, mais il nous invite à regarder le monde autrement, par son prisme.

SEERVELD donne un exemple: c’est la différence entre l’image satellite d’un orage tiré d’un bulletin météo et, par exemple, une peinture de TURNER. L’allusivité, c’est ce qui permet à TURNER de rendre visible cet orage, en présentant du sens par une métaphore visuelle.

Art et vision du monde

Pour SEERVELD, toute la vie est une réponse à la révélation de Dieu. Parce qu’il a été créé par Dieu et pour Dieu, l’homme est un adorateur. Ça veut dire que tout ce que nous produisons a pour vocation d’adorer. Toute pratique artistique sera comme une louange à Dieu ou consacrée à une idole. Seerveld explique:

L’art est l’expression qui signifie de manière symbolique ce qu’il y a dans le cœur d’un homme, sa manière de voir le monde, et ce qu’il adore. L’art révèle quel est le culte de l’artiste, parce que l’art est une offrande consacrée, une tentative non dogmatique, mais terriblement émouvante, d’apporter honneur, gloire et puissance à quelque chose.

Ce que tu produis révèle ce qu’il y a dans ton cœur. Toute production artistique révèle la vision du monde de l’artiste.

(Parenthèse: on devrait pouvoir discerner la vision du monde d’un artiste dans une œuvre, mais c’est sa production dans son ensemble qui sert de grille de lecture. Une œuvre ne suffit pas. L’œuvre s’inscrit dans un ensemble. Francis SCHAEFFER ira même plus loin: c’est la vie de l’artiste qui est son œuvre. Mais ça c’est le sujet pour un autre article.)

Vous vous rappelez, on a dit que pour SEERVELD, toute la vie est une réponse à la révélation de Dieu. Du coup, toute activité culturelle dit quelque chose du monde créé par Dieu.

Alors, à quoi devrait ressembler un art produit par un chrétien? Peut-on parler d’art chrétien?

Souvent, il y a deux camps super divisés sur la question:

  1. Ceux qui soutiennent que oui, il faut faire un art chrétien. Le plus souvent, ce sont ceux qui mettent la barre très haut sur le témoignage et qui relègue au second plan la qualité artistique.
  2. De l’autre côté, il y a ceux qui pensent que parler de l’art chrétien, c’est comme parler de plomberie chrétienne. Ils mettent souvent en avant l’excellence artistique et s’intéressent moins à la question du témoignage.

Je suis d’avis qu’il faut écarter deux extrêmes:

  1. Penser que l’art doit servir absolument à porter un message d’évangélisation.
  2. Considérer qu’on ne peut pas produire un art chrétien.

Je suis d’accord avec SEERVELD: un art n’est pas chrétien parce que l’artiste est chrétien, ou parce que le sujet est biblique, ou encore parce qu’il respecte des valeurs morales. Il n’est pas non plus seulement saupoudré d’un petit extra chrétien.

Je suis aussi d’accord avec lui quand il dit qu’il ne faut pas confondre art et évangélisation et qu’il faut résister à la tentation de devenir partisan ou de faire de la propagande. SEERVELD va même plus loin: en rendant son message explicite plutôt qu’allusif, l’art tendancieux échoue à allier art et foi. Pour lui, l’appel de Dieu est mieux exprimé quand il est enfoui dans l’œuvre.

D’un autre côté, on ne peut pas produire un art semblable en tous points à l’art séculier en ajoutant un simple « Je le fais pour Jésus tu sais ». « Quand on devient chrétien, on n’ajoute pas la grâce à ce qu’on fait, on laisse la grâce transformer ce que l’on fait. »

En vertu de la grâce commune, des non chrétiens peuvent produire un art de qualité, et même refléter quelques aspects de la vérité. Je cite Jean CALVIN:

Lorsque nous discernons chez les écrivains païens une admirable lumière de vérité, nous sommes exhortés à reconnaître que la nature humaine, bien que déchue de sa perfection et très corrompue, est cependant comblée de nombreux dons de Dieu.

Mais du coup, que devrait être un art chrétien? Quelles sont ses particularités? Cela nous amène à répondre à notre deuxième question: Qu’est-ce qu’un témoignage fidèle pour un artiste?

Un art rédempteur

Pour SEERVELD, l’allusivité est la caractéristique de toute production artistique, chrétienne ou pas. Pour autant, l’art chrétien est distinctif parce qu’il est fait par des chrétiens. Aussi, il ne va pas véhiculer le même sens. L’allusivité de l’art chrétien sera au service de sa vision biblique du monde.

L’artiste décrit le monde tel qu’il est, en montrant la laideur du péché et la beauté de la grâce de Dieu, et anticipe la restauration de toutes choses. L’artiste chrétien voit le monde au travers des lunettes de la révélation, comme Seerveld le dit, un prisme qui révèle son « halo de gloire et de souffrance ».

Une vision biblique:

  1. Nourri par sa vision biblique de la création, l’artiste chrétien fait allusion à un monde bon, créé par Dieu. Ce monde continue d’être bon et manifeste encore, bien que partiellement, la bonté et la puissance du Dieu Créateur.
  2. Nourri par sa vision biblique du péché, l’artiste chrétien fait allusion à un monde tordu par la chute. La frustration, la souffrance et la violence montrent l’ampleur des effets de la chute et la manière dont le monde est cassé, dans tous les domaines. Le monde n’est pas tel qu’il devrait être. Et au fond de nous, chacun le sait. Ce sont les échos d’Éden, nos cœurs qui aspirent à la paix, la joie et la justice.
  3. Nourri par sa vision biblique de la rédemption, l’artiste chrétien fait allusion à l’espoir qui se trouve en Christ. La fin de l’histoire ne s’écrit pas avec la dévastation du péché, mais par la victoire de Christ à la croix.

L’allusivité est donc, pour les artistes chrétiens, au service de leur vision biblique du monde.

  • Pas question de produire un art optimiste ou niais, le monde va mal.
  • Mais pas question non plus d’être fataliste : dans ce monde tordu, Dieu reste la source de notre joie et de notre espoir.
  • L’art chrétien est réaliste: il présente avec autant de force la malédiction du péché et la joie de l’espérance du règne de Christ. L’artiste doit présenter un mélange de la peine due au péché et de la joie du consolateur, présent dans nos souffrances.

Pour SEERVELD, Comme toute activité humaine, l’activité artistique doit être pensée comme un moyen de bénir notre prochain. C’est cela que Seerveld nomme un « art rédempteur »

Matthieu Giralt

Matthieu Giralt est le directeur de ToutPourSaGloire.com. Il est pasteur dans l’Est de la France. Il est titulaire d’un DNSEP de l’École des Beaux-Arts de Bordeaux, et d’un Master de recherche de la Faculté Jean Calvin. Il est le mari d’Alexandra, ils ont deux fils.

Ressources similaires

webinaire

Comment avoir une vision biblique du monde et de la culture?

Découvre le replay du webinaire de Raphaël Charrier et Matthieu Giralt (Memento Mori) enregistré le 24 octobre 2018.

Orateurs

M. Giralt et R. Charrier