Est-ce biblique de vouloir sentir la présence de Dieu?

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De nombreux chants en parlent, de nombreux chrétiens en font un sujet de prière, mais qu'en est-il au niveau biblique? Est-ce légitime de vouloir sentir la présence de Dieu? De manière plus fondamentale, cette expression que nous adoptons si facilement fait-elle partie du langage biblique? Enfin, et plus important encore, que dit cette aspiration de notre foi et de notre vision de Dieu?

En guise de réponse, ou du moins d’élément de réflexion, je reproduis ici un extrait de l’excellent commentaire du livre de l’Ecclésiaste, écrit par Sylvain Romerowski.


Dans le Nouveau Testament, nous sommes invités à offrir à Dieu des sacrifices de louange (Hé 13.15). Or ces sacrifices peuvent devenir des « sacrifices d’insensés ».

Il se pourrait que certains de nos cantiques tombent dans cette catégorie. Nous vivons dans un monde qui fait de l’émotion et du ressenti des valeurs hautement prisées et les critères de l’authenticité. Son influence peut affecter notre vision de Dieu et de la relation avec Dieu d’une façon contraire à l’Écriture. Ainsi fleurissent des chants qui parlent de sentir la présence divine ou de ressentir l’amour de Dieu.

Or, il est frappant de constater que l’on ne rencontre jamais un tel langage dans les Psaumes, qui expriment pourtant une grande diversité de sentiments et d’émotions. De nombreux Psaumes chantent l’amour et la bonté de Dieu. Les Psaumes sont l’expression d’une piété intense, profonde, et révèlent chez leurs auteurs une grande intimité avec Dieu. Mais nulle part, on n’y rencontre d’affirmation telle que: « Seigneur, je sens que tu es là » ou « Je ressens l’amour de Dieu ». Au Psaume 34.9, Louis Segond avait traduit: « Sentez et voyez que le Seigneur est bon », mais il est plus exact de traduire: « Goûtez et voyez que le Seigneur est bon. » Il ne s’agit pas là d’un appel à ressentir la bonté de Dieu, mais à en faire l’expérience dans le concret de l’existence. Lorsque les Psaumes chantent l’amour et la bonté de Dieu, c’est à partir de l’émerveillement devant la création, de la reconnaissance pour les délivrances que Dieu accorde, ou pour ses interventions dans le concret de l’existence.

C’est donc sur la base de faits ou d’événements objectifs, ou encore sur la base de la révélation scripturaire, qu’ils célèbrent l’amour de Dieu, et non pas à partir de sentiments subjectifs. Les émotions qu’ils expriment sont alors, non pas un ressenti de la présence divine ou de l’amour de Dieu, mais la paix, la joie, les sentiments qui accompagnent la reconnaissance et qui vont avec l’amour pour Dieu. Considérer l’amour de Dieu fait naître en nous des sentiments. Et il est juste et bon de les exprimer devant Dieu. Mais il ne faut pas se tromper sur leur nature. Ce n’est pas l’amour de Dieu que nous ressentons, mais simplement nos propres émotions, qui naissent en nous en réponse à cet amour. Celles-ci sont suscitées par la pensée de l’amour divin et c’est pourquoi nous pouvons être tentés de les prendre pour un ressenti de l’amour de Dieu. Mais il ne faut pas confondre l’effet produit sur nous – nos sentiments de paix, de joie, de reconnaissance, d’amour pour Dieu, avec la cause qui les suscite et l’amour de Dieu. Ce genre de chant moderne mentionné plus haut tend à orienter vers une recherche de l’émotion pour elle-même, au risque que l’expérience émotionnelle devienne le but de l’événement cultuel et Dieu un instrument pour se la procurer.

Le phénomène n’est cependant pas nouveau. Dans la tradition Puritaine, certains ont témoigné d’expériences très fortes, se disant comme submergés par des vagues de l’amour divin. Et ces personnes ont vu la réalisation de ce que Paul décrit comme l’amour de Dieu répandu dans notre cœur par l’Esprit qui nous a été donné (Rm 5.5). Pourtant, la manière dont l’apôtre envisage ici l’amour Dieu est semblable à celle des Psaumes. En effet, dans les versets qui suivent, il parle de l’amour de Dieu tel qu’il s’est manifesté à croix (Rm 5.7-8). Jean fait de même lorsqu’il écrit: « Voici comment Dieu a démontré qu’il nous aime: il a envoyé son Fils unique dans le monde pour que, par lui, nous ayons la vie. » (1Jn 4.9-10) Dans ces deux textes, il n’est pas question de ressentir subjectivement l’amour divin, mais de le saisir dans son objectivité en considérant sa puissante démonstration par l’événement historique de la croix.

Ainsi, le rôle de l’Esprit selon Romains 5.5 consiste à œuvrer pour que l’amour de Dieu manifesté objectivement à la croix nous atteigne au plus profond de notre cœur, c’est-à-dire de notre être intérieur. Ce qui nous fait tellement penser au ressenti dans ce texte est le mot cœur. Or, selon les conventions du langage biblique, si le cœur est parfois vu comme le siège de l’affectivité, il représente surtout le siège de l’intelligence, de la pensée et de la volonté. L’Esprit agit donc sur notre intelligence pour nous rendre réceptifs à la pensée de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ. Il agit de sorte que nous reconnaissions la véracité du témoignage apostolique rendu à Jésus-Christ et que nous y adhérions avec foi. II nous fait discerner dans l’événement de la croix la manifestation de l’amour de Dieu. Il agit en nous pour que nous nourrissions notre espérance de cette preuve d’amour. Car, comme le dit l’apôtre Paul, si Dieu nous a aimés jusqu’à donner son Fils lorsque nous étions encore pécheurs, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés avec lui par la mort de son Fils, il ne va pas nous abandonner (Rm 5.9-10). Même si, dans le temps présent, l’épreuve survient, nous avons la sûre espérance d’entrer un jour dans la présence glorieuse de Dieu (Rm 5.2-5) parce que nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils (Rm 5.6-10).

Tels sont les arguments de Paul à l’appui de son propos du verset 5. Car argumenter ainsi est l’un des moyens dont l’Esprit se sert pour nous atteindre avec l’amour de Dieu dans notre être intérieur. Il s’agit d’abord de la réflexion de l’intelligence renouvelée par l’Esprit et instruite par la révélation apostolique sur l’événement historique objectif qui manifeste l’amour divin. L’Esprit agit aussi sur notre volonté, pour que nous misions notre existence sur l’amour de Dieu et que nous cultivions l’espérance. Enfin, l’Esprit peut produire ces sentiments de paix, de joie, de reconnaissance, de plénitude, et faire ainsi vibrer notre cœur (au sens occidental du terme) en réponse à l’amour de Dieu, sans qu’il faille considérer que des expériences émotionnelles particulièrement intenses soient essentielles ou nécessaires à son œuvre.

L’Écriture souligne qu’Israël n’a pas vu de forme de Dieu sur le mont Sinaï, et que l’on ne doit pas se faire de représentation de Dieu (Dt 4.10-19). Car le contact physique du païen avec son idole nourrit chez lui une idée faussée de Dieu et porte atteinte à la transcendance divine. Le païen a le désir de voir sa divinité, de la toucher lorsque Dieu est invisible et habite une lumière inaccessible (1Tm 6.16). Prétendre sentir Dieu, ou sa présence, objectiver amour de Dieu en une réalité que nous pourrions ressentir, cela ne relève-t-il pas d’une mentalité semblable à celle du paganisme? Ne serait-ce pas une manière, en quelque sorte, de chercher à mettre la main sur Dieu, à avoir prise sur lui, par le ressenti? Le désir d’un tel contact immédiat avec Dieu ne porte-t-il pas atteinte à sa transcendance? Au contraire, le Qohéleth nous rappelle que Dieu est au ciel et nous sur la terre.

Certes, les Israélites avaient été témoins de phénomènes sensibles qui révélaient la présence divine. On notera toutefois qu’il s’agissait là de phénomènes objectifs comme le feu, le tonnerre, la nuée, les éclairs, les sons, et non pas de sentiments purement subjectifs. Ce genre de manifestations de la présence divine restent d’ailleurs exceptionnels dans l’Écriture: ils apparaissent liés à des évènements particuliers de l’histoire du salut et de la révélation. Surtout, voir ces phénomènes, ce n’était pas voir Dieu (Dt 4.12). De même, nous pouvons percevoir les effets de l’action divine en nous et autour de nous, mais nous ne pouvons pas sentir Dieu, ou sentir directement sa présence. Moïse souligne que, plutôt que de voir Dieu, les Israélites ont entendu sa voix et reçu sa Parole, ses commandements (Dt 4.12-14): Dieu nous appelle, non pas à le voir ou à le ressentir, mais à « l’aimer sans l’avoir vu » (cf. 1P 1.8), à nourrir notre foi de sa Parole et à nous soumettre à sa volonté révélée.

On ne sent pas que Dieu est là. Je sais que Dieu est là, parce qu’il me le dit dans l’Écriture, parce qu’il a promis sa présence par son Esprit, parce que Jésus-Christ a promis d’être présent, par son Esprit, là où deux ou trois sont assemblés en son nom. Je le crois parce que son Esprit agit en moi pour que je m’approprie cette promesse, et je crois que l’Esprit agit ainsi en moi parce que la Parole de Dieu me le dit. On ne ressent pas l’amour de Dieu. Mais je crois à cet amour, parce que Dieu a donné son Fils pour nous sauver, parce que la Bible nous parle de cet amour, et je crois que l’Esprit agit en moi pour que je me mette au bénéfice de l’amour de Dieu, parce que l’apôtre Paul affirme que l’amour de Dieu est répandu dans notre cœur par le Saint-Esprit qui nous a été donné. C’est en venant ainsi à Dieu que je peux, par la foi, non pas ressentir, mais découvrir et m’approprier l’amour qu’il a pour moi, cet amour à la croix. Avec les yeux de la foi, je peux encore discerner les interventions de Dieu dans ma vie et dans celle de mes frères et sœurs, qui attestent, elles aussi, sa présence bienveillante.

— Sylvain ROMEROWSKI, Pour apprendre à vivre la vie telle qu’elle est, Éditions de l’Institut Biblique, Nogent-sur-Marne, 2009, pp. 258-263

Matthieu Giralt

Matthieu Giralt est cofondateur du ToutPourSaGloire.com. Il est pasteur dans l’Est de la France. Il est titulaire d’un DNSEP de l’École des Beaux-Arts de Bordeaux, et d’un Master de recherche de la Faculté Jean Calvin. Il est le mari d’Alexandra, ils ont deux fils.

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R. T.